Je suis morte mais personne ne le sait

Par Majda Hlioui

Il n’y avait pas assez à manger sur table. Je n’avais fait que des pâtes. Encore. Je n’ai rien d’autre à la maison. Tu n’as pas fait de courses depuis longtemps mais je ne me risque pas à te le dire. Je t’écoute en silence pendant que tu cries et me traites de bonne à rien. Tu dis que tu en as marre, que tu veux une vraie femme et que je n’en suis pas une. Les mots glissent sur moi et ne me touchent plus. Je les ai tellement entendus qu’ils se sont vidés de leur sens. Les mots ne me font plus peur. C’est la suite que j’appréhende, celle qui parfois arrive quand les mots ne soulagent pas ta colère.

Je surveille ton langage corporel dans l’attente du signal qui va dire que tu vas passer à l’attaque: le regard qui durcit davantage, la voix qui monte d’un cran, les gestes qui commencent à devenir plus agressifs. Je les vois mais je ne peux rien empêcher. Tout ce que je peux dire ou faire n’y changera rien. Au contraire, cela décuplera ton plaisir. Je ne me fatigue même plus.

Ça y est, tu te lèves et tu viens vers moi. Ta main frappe mon visage. Tu me secoues. Tu me pousses. Je tombe. Tu continues à hurler, à dire que c’est de ma faute, que c’est moi qui te pousse à ces extrémités et que si je savais prendre soin de toi et de ma maison, on n’en serait pas là.

Puis je n’entends plus rien et je ne sens plus rien. Il y ce silence qui se fait soudain autour de moi, comme s’il n’y avait plus aucune vie sur terre, comme si tu n’existais plus. Je suis dans une bulle qui me coupe de la réalité, entre conscience et inconscience. Si mourir ressemble à ça, je veux bien mourir. On ne sent rien, c’est magnifique.

Quand t’en as marre de frapper, tu sors en claquant la porte.

Ce soir, tu rentreras avec un petit sourire d’excuse, tu me prendras dans tes bras et tu me demanderas pardon mais tu diras quand même que c’est de ma faute. Tu promettras que ça n’arrivera plus jamais mais tu ajouteras que moi aussi, je devrais faire des efforts.

Puis la nuit, dans notre lit, tu feras l’amour à mon cadavre, parce que tu ne le sais pas, personne ne le sait, mais je suis morte. Depuis très longtemps. Je fais semblant d’être en vie mais je suis une coquille vide. Mon cœur a arrêté de battre. Ma vie a stoppé net, la première fois où tu as levé ta main sur moi et où je ne suis pas partie.

Ce n’est plus qu’une question de temps. Un jour cette coquille vide en aura marre de faire semblant et s’effritera sur place. Elle cessera totalement d’exister et disparaîtra dans un bienheureux néant.

Bientôt.

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